La GARDE D’HONNEUR DU DEPARTEMENT DE LA MANCHE

1808 -1811

 

Avertissement et remerciements : Cet article nous a été adressé par notre collègue du Bivouac, Didier Davin, que nous remercions tout particulièrement pour sa disponibilité et son érudition.

 

Un Tambour de la Garde d'Honneur à pied
(voir description des tenues dans le texte)

1808, grande année pour la formation des Gardes d’Honneur en France: chaque préfet plein de zèle tient à former une escorte digne d’accompagner l’Empereur, au cas où celui-ci viendrait visiter le département, au cours d’une tournée d’inspection. La Manche ne fait pas exception et les sous préfets et les maires reçoivent les instructions de dresser des listes d’«heureux» volontaires (désignés d’office) pour organiser une Garde d’Honneur départementale à pied et à cheval.

Le préfet bien conscient que de trop fortes dépenses freineraient «l’enthousiasme» à participer à cette formation, car tout ces messieurs doivent se payer leur équipement, formalise une tenue qui moyennant quelques arrangements pourra être réutilisée en habit civil ou «bourgeois».

L’originalité de cette formation est que chaque arrondissement du département va organiser sur place son petit détachement à pied et à cheval (voir note 1) et que de multiples petits tracas et correspondances auront lieu pour rendre homogène cette Garde d’Honneur, sur le plan entraînement et équipement. Nous passerons sur ces détails, ainsi que sur les excuses formulées par certains pour éviter cette véritable réquisition.

L’uniforme après quelques tâtonnement est fixé en Juin 1808.

Garde d’Honneur à cheval : Chapeau noir, bordé d’un galon noir à motifs «à l’aigle», plumet blanc, ganse de cocarde argent et floches argent dans les cornes. Habit bleu (de type frac) avec collet, parements en pointe et retroussis aurore; boutons argent à l’Aigle, aigles argent sur les retroussis. Deux épaulettes argent initialement seront remplacée par un trèfle argent à gauche et une aiguillette sur l’épaule droite. Les épaulettes restant pour les officiers seulement. Veste blanche, culotte bleue entrant dans des bottes noires à galon et glands argent éperons argentés. Sabre à la hussarde à fourreau cuivre et garde cuivre avec dragonne argent, suspendu à un ceinturon vert à plaque argenté. Giberne suspendue à un baudrier orné d’une Aigle, giberne aussi ornée d’une Aigle argentée. Schabraque de drap bleu, galon aurore, harnachement de type cavalerie légère avec licol de cuir noir garni d’aurore et bouclerie argentée. Il faut noter aussi qu’une ceinture écharpe dont on a cherché longtemps la couleur et qui sera finalement aurore à franges de soie, complète, la tenue même si on la trouve plus gênante que seyante.

Garde d’Honneur à pied : Elle a la même tenue avec une culotte blanche entrant dans des bottes noires à revers fauve et un fusil de dragons, un sabre et une giberne d’infanterie à l’aigle argenté. Les tambours voient la même tenue galonnée d’argent au collet et parements, la banderole porte caisse et porte sabre sont galonnées d’argent. La ceinture écharpe est bleue avec franges de même. Caisse de cuivre, cerclage bleu, tendeurs blancs.

Les trompettes ont la même tenue que les cavaliers avec le galonnage argent comme les tambours et les ceintures écharpes bleues. Les instruments de cuivre sont ornés d’une flamme aurore brodée en argent, franges de même. Leur schabraque est galonnée en argent avec une aigle argent dans le coin inférieur.

Le Préfet avait fait commander, à Paris, un étendard pour la Garde d’Honneur à cheval et un drapeau pour celle à pied (note 2).

Les marques de grade pour la Garde d'Honneur de la Manche fixées par une instruction du préfet de Costaz le 26 Juin 1808

Les deux commandants des Garde à pied et à cheval ont les marques de colonel (deux épaulettes à gros bouillon argent) avec aiguillettes argent à droite pour cavalerie.

Le premier commandant de la cavalerie : une épaulette de chef d'escadron argent à gauche, aiguillettes à droite ; les second et 3e commandants de la cavalerie : une épaulette argent à petite torsade à gauche, aiguillettes argent à droite.
Adjudant : une épaulette de capitaine à gauche, aiguillettes argent à droite.
Maréchal des logis chef : idem.
Maréchaux des logis et brigadiers : deux boutonnières argent au collet, trefles et aiguillettes argent.

Le premier commandant de l'infanterie : deux épaulettes argent de chef de bataillon. Les second et 3e commandants de l'infanterie : deux épaulettes argent à petite torsade.
Sergent major : deux épaulettes à franges à petites torsades argent et corps doré.
Sergent et caporaux : deux boutonnières argent au collet

biblio: Souvenirs normands par  Du Boscq de Beaumont, Paris 1903

C’est ainsi vêtue et équipée que la Garde d’Honneur de la Manche débute l’année 1809, sans avoir vu l’Empereur. En 1810, on la retrouve à la cérémonie commémorative de la mort du Prince de Montebello (Lannes). Son heure de gloire allait venir enfin. L’évènement pour lequel elle s’était préparée arrivait : l’Empereur et sa nouvelle épouse, Marie Louise, venaient inspecter les départements côtiers de la Manche, et leur flotte de guerre (après ceux de Hollande et de Belgique en 1810). Cherbourg allait donc recevoir leurs Majestés.

On se doute du «branle bas de combat» de toutes les administrations militaires civiles et religieuses pour faire bonne figure. La Garde d’Honneur reçoit ses instructions pour se positionner sur le parcours. C’est qu’avec la Garde nationale, elle va être en première ligne pour les cérémonies. Nous sommes en mai 1811 et Napoléon est au faîte de sa gloire : il a un héritier, il contrôle la plus grande partie de l’Europe. Il veut une Marine forte et des ports fortifiés contre l'ennemi héréditaire, l’Anglais, qui le nargue en Espagne et sur les côtes de Méditerranée, et qui a pris ses colonies.

Napoléon visitant le port de Cherbourg

Napoléon visitant le port de Cherbourg

 

LA VISITE IMPERIALE DE 1811

Garde d'Honneur à cheval de la Manche
Chasseur de la Garde d'Honneur à pied (voir description des tenues dans le texte)
Garde d'Honneur à cheval de la Manche, 1811

26 Mai 1811: Il est trois heures de l’après Midi, sous un léger crachin, quand arrivent l’Empereur et sa suite prestigieuse, en provenance de Caen. Ils ont fait une courte étape à Valognes où selon la tradition les clefs de la ville ont été présentées. Outre l’Impératrice, il y a là le Vice Roi Eugène, le Grand Duc de Wutzbourg, le ministre de l’intérieur (le Comte de Montalivet), Maret (duc de Bassano), Decres, Duroc, etc…. Le Préfet, le baron Bossi, est dans ses petits souliers, il a tout préparé avec minutie. Les canons tonnent, les cloches sonnent, la Garde d’Honneur fait la haie. On a construit un arc de triomphe en feuillage et fleurs. Tout le monde fait son petit discours de bienvenue.

Celui du Maire ( Mr Delaville) est simple : «Sire , nous avons l’honneur de vous présenter les clefs de la ville de Cherbourg. Nous vous recevons mal (quelle modestie !) mais nous vous aimons et nous venons vous le dire….». L’ Empereur est content et déjà il fonce vers le Port pour tout regarder : les forts, les travaux de structure, les bassins, les digues. Il y reste jusqu’à 10 heures le soir.

Le lendemain lever 5 heures, ….et à cheval tout le monde : nouvelle inspection de l’enceinte fortifiée. Audiences vers Midi. Dans l'après Midi sous une pluie battante, trempés jusqu’ aux os mais stoïques, l’Empereur et son épouse visitent les vaisseaux en rade. «Bonjour mes enfants je viens vous voir par un bien mauvais temps» . Il parle longuement à ses marins, décore des braves, accorde des gratifications. Des capitaines d’élite, rongeant leur frein de ne pouvoir prendre plus souvent la mer présentent leurs sabres. On fait tonner les batteries à la grande joie de l’ancien artilleur et à la grande frayeur de l’Impératrice.

Troude est nommé contre Amiral au cours de l’inspection. On le charge de donner la chasse à quelque croisière anglaise qui, insolemment, navigue à portée de vue de la rade. Le 28, conseil avec les inspecteurs du Génie et des fortifications, et visite du bassin creusé dans le roc. Le 29, les revues des équipages et des régiments de garnison se succèdent, tandis que le 30 Mai Troude offre à leurs majestés, qui déjeunent sur la digue, une chasse à l’Anglais, malheureusement infructueuse, mais qui permet de faire défiler la flotte en ordre de bataille (note 3), spectacle majestueux si il en est.

Au retour de la flotte, Napoléon est déjà reparti. Il arrive à Saint Lô vers 21 heures, où il passera la nuit. Notre Garde d’Honneur peut être satisfaite… Elle aura l’occasion de revoir Marie Louise en 1813, qui viendra inaugurer les grands travaux portuaires.

NOTES DANS LE TEXTE

Note 1 : La composition de la Garde d’Honneur en Juillet 1808 est la suivante :

Lecourtois commandant général de la Garde à cheval, Duval- Montigny commandant général de la Garde à pied ;
Arrondissement d’Avranches : Garde à cheval : 2 off, 1 adjudant, 14 gardes et Garde à pied : 1 off, 1 adjudant , 21 gardes;
Ville de Granville : Garde à pied : 1 off, 1 adjudant, 14 gardes;
Arrondissement de Coutances : Garde à cheval : 3 off, 2 adjudants, 36 gardes et Garde à pied : 1 officier, 2 adjudants, 28 gardes;
Arrondissement de Saint Lo : Garde à cheval : 2 off, 2 adjudants, 24 gardes et Garde à pied : 1adjudant et 6 gardes;
Arrondissement de Valognes : Garde à pied : 1 adjudant et 8 gardes
Ville de Cherbourg : Garde à cheval : 2 off, 1 adjudant, 9 gardes et Garde à pied : 1 off, 1 adjudant, 13 gardes.

Les effectifs et les titulaire varieront au cours des années.

Marie Louise inaugure en 1813 la fin des travaux de l'avant port de Cherbourg

Marie Louise inaugure en 1813 la fin des travaux de l'avant port de Cherbourg

Note 2 : On sait que le drapeau de la Garde à pied avait coûté 174 francs et l’étendard pour la Garde à cheval 322 francs. L’étendard était brodé en argent sur drap aurore avec torsades en argent, le drapeau en soie aux trois couleurs (sans doute de type modèle 1804) avec cravate et surmonté d’une Aigle dorée. Réunie le 6 Juillet 1810 au champs de Mars de  St Lô, juste avant la cérémonie des honneurs funèbres pour le maréchal Lannes, une délégation à pied de la Garde d'Honneur de la Manche (les chevaux étant encore trop jeunes, incapables de garder le rang (sic)) reçut du Préfet, le baron Bossi, ses emblémes. A cette occasion, le Préfet se fendit d'un discours bien troussé :
".... Messieurs de la Garde à cheval et à pied, les drapeaux, que je m'honore de remettre moi même en vos mains, donnent en ce moment au corps que vous formez la consistance qui lui manquait encore. Dès ce moment, ils doivent être pour vous le signal du ralliement le plus honorable que puisse avoir les Français : celui du dévouement le plus absolu à la défense de votre Souverain ... " (In "Souvenirs normands" par G. Du Bosq de Beaumont, Paris 1903). 

Note 3 : Il y a là le Courageux, et le Polonais vaisseaux de 74 canons, la frégate Iphigénie de 44 canons, des bricks, une corvette : la Diane.

Dessins dans le texte : Garde d’Honneur à pied du département de la Manche par E. Fort, Tambour de la Garde d’Honneur par D. Davin

Bibliographie :

- Carnets de Grammont.

- L Garros : itinéraire de Napoléon.

- Revue Neptunia.